Portrait : Anthony Barton
Rencontre avec ANTHONY BARTON [Archive 2000]
Sur cette fin de siècle, nous avons vu tant de nouvelles techniques envahir les pratiques culturales et les travaux de chais, dont beaucoup n'ont eu que la courte existence d'une mode, qu'il est souvent difficile de saisir quelles sont vraiment les pratiques essentielles à la vinification. Sans chercher à classer ce qui est utile de ce qui ne l'est pas, il nous a semblé de bonne information d'approcher la conduite d'un vignoble, parmi les plus grands du bordelais, et, surtout, qui a su résister et traverser tous les courants, toutes les tendances, sans sombrer dans l'accoutumance à cette drogue vinicole, particulièrement bordelaise, qu'est le "marketing".
IVV : Vous avez une très forte majorité de cabernet sauvignon, peut être la plus importante du médoc. La singularité du médoc repose sur ces terroirs chauds de graves favorables à l'expression de grands cabernets sauvignons. Que pensez-vous des plantations qui depuis une petite dizaine d'années, augmentent significativement la proportion de merlot ?
A.B : Les vins de merlot sont plus flatteurs, plus prêts à boire. Ils se présentent mieux lors de la dégustation des primeurs en mars. Nous savons tout cela.
Le problème vient aussi du fait que les notes attribuées à ces vins primeurs, donc pas aboutis, sont mentionnées dans de nombreux ouvrages. Malheureusement, ces ouvrages restent les seules références après mise en bouteille. Ces dégustations et notations qui révèlent une certaine vérité instantanée, se transforment en notations finales intemporelles.
Il faudrait organiser au moins une deuxième dégustation de même importance après la mise. Mais évidemment, c'est au mois de mars que nous vendons les vins.
IVV : Recherchez-vous des clones particuliers, préférez-vous la sélection massale ?
Les saint-émilionnais se plaignent de ne trouver aucun bon clone de cabernet franc. D'un point de vue général pour la conduite, du vignoble d'une part, et de la qualité des vins d'autre part, qu'est ce qui prévaut : l'uniformité des plants ou au contraire leur diversité?
A.B : Qu'est ce qu'un bon clone ? Le sait-on vraiment ? Je suis, pour ma part, favorable à la diversité. Je crois qu'il faut laisser beaucoup de place à la nature.
IVV : La fin du siècle est marquée par un retour au travail en vert : vendanges vertes, ébourgeonnage, effeuillage, rabaissement des pieds,…
Nous aimerions votre avis sur l'évolution de la conduite du vignoble, sur le miracle des vendanges vertes et peut être le danger du "systématisme".
A.B : Ici, à Langoa Barton et Léoville Barton, nous ne faisons aucune vendange verte.
Deux problèmes se posent : D'une part, la compensation de la vigne. Après avoir été privée de 50% de ses grappes, la vigne fait un effort de production et livre, aux vendanges, une récolte réduite de seulement 30%. Le volume des baies restant sur le pied après la vendange verte a donc augmenté de 20% : il y a forcement de l'eau en plus.
D'autre part, l'exécution de l'opération. Quelles grappes les vendangeurs sélectionnent-ils ? Savent-ils à coup sûr reconnaître les grappillons ? Sur un pied, il y a des grappes pendantes et dégagées et d'autres cachées sous le feuillage. Ce sont ces dernières qu'il faudrait enlever, mais dans la pratique, c'est le contraire qui se produit, pour des raisons de rapidité d'exécution des gestes.
IVV : Concernant les vinifications, possédez-vous un osmoseur ou concentrateur ?
Depuis 1999, l'Europe a autorisé ce traitement et, grâce au travail à façon, il se répand partout dans le vignoble. Ne peut- on pas craindre une utilisation systématique de cette pratique entraînant un certain laxisme dans la gestion des travaux en vert et plus particulièrement des vendanges pluvieuses ? Ne peut-on pas craindre tout simplement l'affectation de la qualité première du raisin ?
A.B : Nous ne possédons pas d'osmoseur. Nous avons bien fait des essais, mais nous n'avons pas retenu cette technique.
Contrairement à toutes les argumentations promotionnelles de cette technique, les eaux retirées du moût ne sont pas inodores et le sucre reste un agent naturel même s'il augmente effectivement légèrement le volume final du vin. Je suis favorable à la chaptalisation pour une éventuelle correction des moûts et ce d'autant plus que la viticulture a une longue expérience de sa gestion : dans l'équilibre des vins tout comme dans leur stabilité au vieillissement.
IVV: Nous souhaiterions votre avis sur l'usage du bois neuf, son rôle, son intérêt et ses dangers
A.B : Ici nous élevons les vins sous 50% de bois neuf. L'intérêt de l'élevage sous bois réside uniquement dans les échanges gazeux que permet la porosité de la barrique, cette oxygénation ménagée qui vient parfaire l'équilibre, la stabilité, la présentation du vin.
L'utilisation de 100% de barriques neuves dans l'élevage des vins a une origine très simple : seules les grandes propriétés pouvaient se permettre d'acheter des barriques neuves ou d'avoir leur propre tonnellerie. Aujourd'hui, pour bon nombre, "bois neuf" égal "grand vin", c'est un raccourci.
IVV : La fin du siècle est également marquée par les malo en barriques, le cliquage…
Tout le monde sait, enfin presque, que cela n'apporte rien sinon une meilleure présentation des vins en primeurs.
Est- ce que ces malo ne prouvent pas tout simplement que la majorité des dégustateurs, les acheteurs et la presse ne savent pas ou plus déguster des vins en cours d'élevage? N'y a-t-il pas quelque chose a faire de ce coté-là ?
A.B : Nous ne faisons pas non plus de fermentation malo-lactique en barrique. Ce serait un travail considérable, avec des installations importantes et un personnel conséquent juste pour, comme vous l'avez souligné, obtenir des vins qui se goûtent mieux jeunes. Ce n'est pas raisonnable.
Il est évident, comme nous le disions précédemment, qu'il serait préférable de n'organiser cette dégustation qu'après la mise en bouteille. Seulement, une entreprise viticole ne peut pas faire l'avance d'une récolte, elle a besoin de trésorerie. La vente du mois de mars est un passage obligé, vital, et déterminant pour son avenir.
IVV : Un grand sommelier, lauréat du "meilleur sommelier du monde" disait dans une interview, il y a quelques temps, que pour ses jeunes collègues il était de plus en plus difficile, parfois impossible de trouver des vins à l'aveugle, château ou même pays d'origine. Nous pouvons supposer qu'il faisait référence à tous ces vins faits de la même manière, surmuris, avec des rendements très bas emballés sous bois neuf et malo en barrique.
Comment voyez- vous les vins de bordeaux tels qu'ils sont vinifiés aujourd'hui?
A.B : Cuvée, microcuvée,…j'ai du mal à comprendre la démarche d'ôter les meilleurs cuves du vin de la propriété. Quant au vieillissement de tous ces vins très travaillés, nous ne savons rien sur leur évolution, comment vont-ils se comporter?
A Leoville Barton, nous taillons la vigne très court, à trois boutons. Mais cela n'a rien d'exceptionnel, c'est tout à fait traditionnel dans la conduite des grands vignobles. Nous ne pratiquons pas de vendange verte, nous faisons un effeuillage à la fin août. Lorsque les vendanges sonnent, nous approchons les rendements autorisés, 50 à 55 hl ha. Si vous alliez voir à la mairie de Saint Julien les déclarations de récolte, vous vous apercevriez que les ténors de l'appellation approchent aussi les limites.
Est-ce que Anthony Barton ne nous aurait pas donné ici la définition d'un grand terroir : là où la vigne, conduite le plus naturellement et le plus simplement, fait un grand vin à 50hl ha.
Fabian barnes