Portrait d’une fermentation mal connue : la fermentation malo-lactique

par Fabian Barnes

🕒 Résumé (lecture 2 min)

Si la fermentation alcoolique attire toute l’attention au moment des vendanges, elle n’est que la première étape du processus.
La fermentation malo-lactique, plus discrète, transforme l’acide malique en acide lactique : le vin perd en acidité, gagne en souplesse et en rondeur.
Indispensable pour les rouges et certains blancs de garde, elle stabilise biologiquement le vin et lui confère équilibre et douceur.

La “seconde vie” du vin

Quand sonne l’heure des vendanges, nous avons tous à l’esprit la grande cérémonie des fermentations ; celle qui donnera naissance au fruit du plaisir, parfois fruit du péché : la fermentation alcoolique.
Pourtant, si cette dernière nous donne le ton des festivités, les vins sont à ce stade à l’état “cru”.
Ils expriment toute la fraîcheur du raisin, soutenue par la vivacité des arômes fermentaires dits secondaires et d’une acidité marquée.

Pour beaucoup de vins blancs et rosés, ces caractéristiques sont recherchées et seront préservées jusqu’à la mise.
Mais pour les vins rouges, certains clairets et blancs de garde, on entreprendra une seconde fermentation dite malo-lactique, qui apporte souplesse, gras et rondeur, tout en abaissant l’acidité.

Les agents de cette transformation

Contrairement à la fermentation alcoolique menée par les levures, ce sont ici des bactéries lactiques qui sont à l’œuvre.
Dans ce monde de l’infiniment petit, levures et bactéries se côtoient et se partagent la nature et ses richesses.
Les principales familles rencontrées sont :

  • Leuconostoc (formes rondes, “coques”),

  • Lactobacillus (formes en bâtonnets, “bacilles”).

Ces micro-organismes sont déjà présents sur le raisin et dans le chai, prêts à intervenir lorsque le milieu devient favorable.

Le savoir-faire des bactéries

Les bactéries respirent et fermentent selon la disponibilité de l’oxygène.
En anaérobiose, elles adoptent divers mécanismes métaboliques :
elles peuvent transformer les sucres en éthanol, produire du glycérol, du lactate ou, plus rarement, des composés indésirables (acroléine → amertume, “maladie de la tourne”, etc.).

Leuconostoc oenos, bactérie la plus résistante à l’alcool, réalise la transformation essentielle :

acide malique → acide lactique + CO₂

Cette réaction désacidifie naturellement le vin et en modifie la texture.

Conditions favorables

Leur développement dépend de nombreux facteurs :

  • pH optimal : 4,8 – 5 ; inhibé < 3,0

  • Température : 19–20 °C (une baisse de 5 °C peut les tuer)

  • Degré alcoolique : facteur sélectif des souches

  • SO₂ : inhibiteur à l’état libre, toléré lorsqu’il est combiné

La nutrition n’est pas limitante : le vin contient déjà vitamines, minéraux, acides aminés et sucres nécessaires.

Levures contre bactéries : le match

Au chai, levures et bactéries coexistent dès la vendange.
Les bactéries patientent pendant la fermentation alcoolique, prêtes à se développer si les levures s’affaiblissent.
Un pH élevé, une vendange surmûrie ou une carence azotée peuvent favoriser leur reprise trop précoce :
le risque est alors la piqûre lactique, accident redouté.

Si la fermentation alcoolique s’achève correctement, le milieu alcoolisé sélectionne ensuite les leuconostocs, qui initient la fermentation malo-lactique vers 20 °C.
En cas de lenteur, on peut pratiquer un ensemencement à partir de cuves actives ou de souches lyophilisées, en ajoutant parfois des écorces de levures pour stimuler leur activité.

La malo-lactique en pratique

Plus lente que la fermentation alcoolique, elle dure une à trois semaines selon la température et la teneur initiale en acide malique.
Une fois celui-ci épuisé, les bactéries consomment un peu d’acide citrique, générant parfois des notes beurrées (diacétyle).

Bilan sensoriel et œnologique

À l’issue de la fermentation malo-lactique :

  • L’acidité diminue, le vin s’arrondit.

  • Des notes lactées ou beurrées peuvent apparaître (temporairement).

  • Les arômes primaires s’atténuent, la couleur perd un peu d’intensité.

  • La volatile augmente légèrement.

  • Le vin devient biologiquement stable, apte à l’élevage.

Cette fermentation reste difficile à suivre sans analyse : elle se contrôle par dosage des acides malique et lactique, ou plus simplement par chromatographie sur papier.

Cas particuliers

Certains vins blancs destinés à la distillation (Cognac, Armagnac) ou à l’élaboration de crémants et champagnes subissent cette fermentation uniquement pour stabilisation.
Cependant, elle modifie toujours les arômes ; c’est pourquoi des recherches sur des procédés enzymatiques de désacidification se poursuivent.

📘 En bref : à retenir

  • Elle transforme l’acide malique en acide lactique.

  • Elle adoucit le vin et diminue son acidité.

  • Elle stabilise le vin biologiquement.

  • Elle est menée par des bactéries lactiques (Leuconostoc oenos).

  • Elle se déroule entre 19 et 20 °C, après la fermentation alcoolique.

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Portrait : Patrick Eresué