Du verre à la plume
Dégustations, histoires et terroirs à partager
Par Fabian Barnes
DOSSIERS
DÉGUSTATIONS
Portrait : Patrick Eresué
Patrick Eresué, l’esprit vigneron
[Archive 2003]
33350 Castillon la Bataille
Tél : 05 57 40 14 78
Fax : 05 57 40 25 45
Monsieur Erésué père était coopérateur, les 20 hectares de la propriété, situés sur les coteaux sud, abruptes de Castillon, regardant la dordogne, comptaient 15 ha de pêchers et 5 ha de vignes.
En 1979, il se retire de la cave et vinifie chez lui, arrache le verger et le remplace par de la vigne. Patrick, son fils, fait ses armes à Canon Lagaffelière où il arrive en 1983, avec Stéphane de Neipperg, il restaurera ce cru et lui rendra sa place de cru classé. En 1996, il quitte Canon La Gaffellière pour reprendre les rennes de la propriété familiale. La succession fait quelques étincelles, conflit de générations, conflit de savoir- faire, mais rien d’exceptionnel, Patrick ne désarme pas, il veut donner une existence contemporaine au domaine familial. Il conserve le nom de Chainchon pour les 15 hectares de la propriété plantés à la place des pêchers, les vinifie simplement, en cherchant fruit, équilibre et rondeur. Par contre, les vieilles parcelles antérieures à 79, constituant les premiers 5 hectares de la propriété, son vinifiées et élevées séparément ; il donnera à leur vin le nom de son grand-père : Valmy Dubourdieu Lange.
Valmy Dubourdieu Lange, nous connaissons bien, un vin de caractère, droit et puissant, maintes fois cité dans les dégustations du journal ; Chainchon est déjà beaucoup moins connu et pourtant, ce type de vin représente la catégorie principale des vins de bordeaux. Des vins comme Chainchon, vendus moins de 5 Euros la bouteille au particulier, permettent de rappeler que rapport qualité/prix, Bordeaux reste difficile à battre dans cette catégorie.
Il faut venir voir Patrick Erésué sur sa propriété. Etonné, vous le serez sûrement. Patrick Erésué est certainement un des plus vignerons, un des plus agriculteurs des producteurs de grands vins de Castillon : il n’affiche pas de fierté lorsqu’il décrit son Valmy Dubourdieu Lange, certainement qu’il en est fier, mais il ne le montre pas. Pour lui, la viticulture, c’est Chainchon, une viticulture représentative du plus grand nombre de vignobles. Une viticulture qui a une véritable dimension, un véritable sens agricole.
Il aime beaucoup son Valmy Dubourdieu Lange et les autres vins de son appellation de la même trempe, mais il est déçu de l’ombre qu’ils portent sur les Chainchon et al. : « aucun Chainchon ne peut apparaître dans une dégustation ou il y a des Valmy, il n’y a pourtant rien à comparer », «les Valmy ne représentent rien dans l’économie viticole bordelaise, les Chainchon, oui».
Etonné vous serez d’apprendre que Valmy Dubourdieu Lange est ramassé à la machine à vendanger. Etonné vous serez de trouver un chai rudimentaire, simplement fonctionnel. Etonné, vous le serez certainement d’apprendre que 30 % de sa production est vendue à une clientèle particulière, fidèle depuis des années, venant régulièrement remplir ses …cubitainers.
Patrick Erésué est pragmatique et fuit l’esbroufe, il vit de la terre, pas de la coquetterie.
Pour couronner le tout,s apprend qu’il ne veut plus vendre ses Valmy Dubourdieu Lange sur la place en primeur : « je ne peux plus supporter que les amateurs de mes vins doivent débourser 30 Euros pour une bouteille de Valmy. Bien sûr, Valmy Dubourdieu Lange coûte plus cher à produire que mes autres vins mais je ne peux décement pas vendre une bouteille plus de 15 euros à un particulier ».
(Alors rendez-vous à Chainchon, le coffre vide.)
BON Dégustation Chainchon 2000
Nez de fruit frais, arômes fermentaires et variétaux.
Attaque franche appuyée d’une bonne nervosité – évolution rectiligne dotée d’un très joli fruit frais bien expressif et d’une bonne vivacité. Le tannin appuie l’empreinte rectiligne, un tannin de raisin, légèrement farineux, l’ensemble est presque doucereux. Très belle tenue, longueur correcte – finale dans la continuité révélant toujours du fruit et une trame de même intensité.
Très belle bouteille dans sa catégorie, à mon sens bien plus intéressant que la cuvée prestige qui apporte une structure boisée pas forcément indispensable.
ASSEZ BON Dégustation Chainchon 1999 cuvée prestige
Nez ouvert, retenu - jolie notes de fruits rouges – légèrement épicé – et notes de premières évolution, fruits cuits et sauce au vin.
Attaque souple doublée par une légère structure boisée – évolution linéaire consentie par des tannins notamment de bois présents. Jolie amplitude et bon fruit. Bon équilibre.
Tenue bonne et longueur moyenne – finale marquée par le fruit et légèrement séchée par le bois et pointe fromagée.
Equilibre très plaisant et joli fruit font sa qualité de joli vin de plaisir à consommer rapidement.
Portrait : Thierry Valette
Thierry Valette, 3 ans après [Archive 2003]
Après le 3ème millésime, quel micro bilan faites vous de votre installation ?
« Je m’étais bien préparé à la difficulté, finalement peut-être pas suffisamment, mais tant mieux : certains de mes choix de départ se révèlent assez inconscients et c’est heureux ; si j’en avais été averti, il est fort probable que je ne les aurais pas appliqués. Cette inconscience nous a permis de signer des bouteilles qui révèlent un terroir ».
Cette inconscience devenue consciente à t-elle influencé les deux millésimes suivants ?
« Sur le plan de l’élaboration des vins : absolument pas. Nous avons suivi le même protocole, les même exigences avec les deux derniers millésimes. Ce qui évolue très certainement, c’est l’émergence d’une signature personnelle. Sur le premier millésime, Stéphane (Derenoncour) est à l’origine de bon nombre des décisions prises, Depuis, j’ai appris à les anticiper.
Il demeure cependant primordial - apprendre à juger de la douceur, du juste équilibre - finesse et puissance, apparemment opposées et qui concourent, bien conjuguées, à la qualité des grands vins - voilà une tâche difficile ».
Clos Puy Arnaud est géré en «bio » jusqu’aux peintures des bâtisses d’habitation, qu’est ce que cela veut dire et surtout ,est- ce raisonnable ?
Le «bio » est une philosophie.
Elle impose la non utilisation des produits de synthèse et, pour l’agriculture en particulier, la non utilisation d’herbicide. Ce qui signifie travailler son vignoble avec des purins, de prêle, d’orties, et différentes tisanes de plantes.
Bien évidemment, il y a un prix à payer et nous avons reçu la facture en 2001, plus lourde encore en 2002.
Elle ne concerne pas le chai : une fois trouvée l’adéquation entre vinification et terroir ,tout va bien d’une année sur l’autre, bien sûr il faut avoir quelques petites intuitions chaque année en fonction du millésime, mais cela s’arrête là. En revanche, dans les vignes c’est bien plus compliqué. En agronomie, il n y a pas de solution : chaque décision a sa contre-indication et donc, il est nécessaire de gérer toutes ces contradictions. Par exemple, vous cherchez à produire un grand vin, nous savons que pour produire un grand vin il faut que la vigne souffre, pourtant, des sols travaillés biologiquement reprennent vie et peuvent devenir trop en vie. A ce moment là, la vigne ne souffre plus ».
Pratiquement, vous avez tout de même beaucoup perdu en volume de récolte, 18000 bouteilles produites en 2000, vous n’en faites que 13000 en 2001 et peut-être moitié moins en 2002, vendangé à 17hl/ha. Cela fait cher le « bio » non ?
Non, il peut m’arriver de l’incriminer dans des périodes de «blues » mais ce n’est pas tant le problème de la culture bio. Cette année 2002 est marquée par la coulure et le millerandage et je connais des propriétés menées en lutte intégrée, usant donc de produit systémique, dont la récolte est passée de 45 hl/ha à 22hl/ha. Finalement, ma baisse de rendement reste dans une moyenne normale. Non, cette baisse de volume, c’est le prix de la qualité. Dans l’avenir, j’espère tout de même ne pas rencontrer trop de rendement si bas mais, en principe, cela devrait s’arranger : nous avons redonné vie à la terre, nous avons redonné vie au pied de vigne…la nature a ses excès…il faut lui laisser le temps de retrouver son équilibre.
En tous cas, aujourd’hui, pour avoir dans nos vins une qualité de fruit et une révélation de terroir, je ne sais vraiment pas comment nous pouvons faire autrement que de conduire le vignoble en «bio » ».
Justement, l’avenir de Clos Puy Arnaud, ses exigences qualitatives, ses exigences d’éthique «bio » , vous le voyez comment ?
Dans la catégorie des bons vins, celle que nous pourrions assimiler aux médailles d’or, il y a beaucoup de monde et cela rend la situation délicate, mais notre catégorie est encore un créneau de niche. Pour l’instant, à Clos Puy Arnaud, nous vivons au dessus de nos moyens ; certes par rapport à l’appellation, nous faisons partie des vins chers, mais 8 € en 2000 et même 11€ en 2001 ne sont malheureusement pas suffisants. Pour nous, l’exploitation sera viable lorsque nous atteindrons 15€. Bien sûr, pour le consommateur, se rajoute le problème du surcoût de la place qui multiplie par 2, souvent par 2,5 le prix de nos bouteilles – cependant, se passer de la place, c’est s’occuper de notre propre commercialisation : c’est un autre métier, un autre emploi du temps.
Je suis assez confiant, nous sommes bien placés rapport qualité/prix, évidemment nos vins sont chers mais je pense qu’à qualité égale, beaucoup de vins sont bien plus chers.
Aussi faut-il bien gérer son marché afin que les vins ne deviennent pas inabordables car ils ne s’adresseraient alors qu’à des consommateurs peu connaisseurs, des golden boys qui repartent aussi vite qu’ils sont venus ».
Très bon
Dégustation Pervenche Puy Arnaud 2001
Nez dominé par le bois, l’agitation révèle de discrètes notes de confiture de mûre et quelques notes crémeuses.
Attaque pleine et franche marquée par le bois – évolution de bonne ampleur, chaude, le fruit discret a du mal à se faire une place au milieu des notes de bois grillées, vanillée, fortement dominantes, et l’alcool accentuant sa présence – bonne tenue et bonne longueur, finale sur des petites notes de cerises et de bois évidemment, curieusement la finale n’est pas chaude comme le présumait la présence alcoolique en milieu de bouche.
C’est également un très beau vin, encore bien fougueux, il est aussi dégusté juste en levée de colle. Cependant il est à craindre que le boisé reste un peu excessif, et que les allures vineuses d’une oxydation plus avancée ne lui fasse perdre de la fraîcheur (comparativement au 2000 bien entendu). Ce second vin demeure cependant dans la catégorie des meilleurs Saint-Emilion grand cru.
SUPERBE
Dégustation Pervenche Puy Arnaud 2000
Très joli nez dominé par le cassis, quelques notes boisé tendre, quelques touches poivré, le tout dans une harmonie fondue et doucereuse.
Attaque pleine et gourmande –évolution de belle ampleur même superbe pour un second vin – un tanin crayeux vient donner davantage de fermeté, le fruit se donne et impression doucereuse tout au long de la bouche aidé par un alcool présent mais pas excessif. Très bonne tenue, longueur correcte à bonne, finale en continu, sur le fruit frais puis évoluant cuit, cerises, très léger alcool et toujours cette touche crayeuse du tanin.
Un second vin meilleur que beaucoup de premiers vins de l’appellation. Indiscutablement d’un superbe rapport qualité prix.
Portrait : Jean-François Lalle
Jean-Francois et Walter Lalle en pays castillonnais [Archive 2000]
B.P 42, 8, brousse
33350 Belvès de Castillon
Tél : 05 57 56 05 55
Fax : 05 57 56 05 56
Il s’appelle Jean-Francois Lalle, mais il se prénomme aussi Walter. Jean-Francois goûte les vins mais Walter préfère goûter les vagues. Rien d’étonnant à se nourrir de passion me direz- vous, cependant chez Jean-Francois, pardon, Walter, elle est telle que même si Jean-Francois et Walter ne font qu’un, ils sont pourtant bien deux. Jean-Francois est réservé et retenu, Walter est plus fougueux – Jean-Francois est mesuré et prévoyant, Walter adepte du carpe diem.
Jean-Francois est œnologue – diplomé de Bordeaux en 1986, d’une certaine manière, il surfera les vagues du monde viti-vinicole, dispensant des cours de dégustation et tenant une rubrique vin sur Antenne 2. Mais en 1989, il lâche cette planche et plonge au cœur de la vague, celle de la production. Devenu œnologue de la cave coopérative de Saint-Emilion, il goûte aux joies de la vinification industrielle : « c’est un très gros bateaux, un paquebot, une inertie extrêmement lente » - un paquebot avec son pont commun, 60000 hl, et ses cabines personnelles, 50 châteaux en vinifications séparées.
En 1997 il est usé, «usé par la gestion d’un tel volume, usé par la difficulté des manœuvres ». En 1997, il décide de monter à bord d’une embarcation plus légère, une embarcation de luxe, en cale sèche pour restauration : château Canon, 1er cru classé de Saint-Emilion. « C'est un joyau (…), prendre le temps de faire les choses (…), ici nous sommes au royaume de la haute couture ». Pourtant en 2002, il décide d’abandonner cet équipage et la mer d’huile pour une embarcation moins capitonnée et une mer plus agitée : le château Côte Monpezat à Castillon.
Parallèlement, Walter, pendant tout ce temps là, surfe. Walter surfe les vagues océanes mais surtout, et vous comprendrez pourquoi je vous parle non seulement de Jean-Francois mais également de Walter, il s’éprend d’une vague, une vague bien particulière, une vague fluviale : le mascaret. Le Mascaret : une traînée d’ondes venant de l’océan, remontant l’estuaire et s'engouffrant dans ses bras, Dordogne et Garonne - Une traînée d’ondes à l’origine du nom Entre deux mers - Une traînée d’ondes qui pourrait emmener une planche de surf et le poids de son pilote. Ni une, ni deux, Walter et deux de ses amis se mettent à l’eau au port de Saint-Pardon et attendent la vague – voilà qu’elle arrive, jambes et bras s’agitent, quelques mouvements propulseurs, les genoux se décollent, les pieds prennent appui, les bras s’écartent en position de balancier … le Mascaret à perdu sa virginité – Walter est le premier surfeur de cette vague si particulière.
Jean-Francois, pourquoi le château Côte Monpezat ? : « il y a un terroir magnifique avec lequel nous pouvons travailler dans le velours - et il est bien plus passionnant et excitant de démontrer que nous pouvons faire ici de grands vins – dans les tous premiers crus, Cheval Blanc, Petrus,…le travail de l’équipe consiste aujourd’hui à maintenir le cru à son niveau ; ici, à Côte Monpezat, mon prédécesseur à déjà fait beaucoup pour ce cru mais nous pouvons encore bien progresser ».
C’est quoi un bon vin ?: « d’où qu’il soit, un bon vin doit être le reflet de son terroir – il doit être travaillé en finesse, montrant de l’élégance et surtout pas de la rusticité – mais surtout, finalement, un bon vin c’est une bouteille vide sur la table après un repas ».
Et le mascaret Walter ?
« Nous l’avons beaucoup surfé, il est surfable près de 70 fois par an. Mais à présent, il y a beaucoup trop de monde sur la vague. Nous avions organisé, il y a quelques années, un grand événement autour de cette vague, en invitant la presse écrite et audiovisuelle qui a répondu présent – le problème conséquent est qu’aujourd’hui, il n'y a jamais moins de soixante surfeurs sur la vague en même temps, de ce fait, le moindre écart de trajectoire renverse le voisin – c’est nettement moins amusant.
Mais je suis aussi ravi parce que le port de Saint-Pardon et son bistrot vivent depuis, toute l’année, au son du Mascaret, de ses surfeurs et de ses curieux. »
Revue des vins
TRES BON
Dégustation Côte Monpezat 2000
Nez légèrement ouvert, distillant des fruits rouges frais et compotés, de très jolies notes boisées bien fondues.
Attaque de belle ampleur, suave, évoluant vers une empreinte très rectiligne et se posant sur cette assise tannique, massive, sans angularité pour autant – notes crémeuses, fruit de bouche discret, très poivré. Tenue correcte, bonne longueur – finale massive et aplatie à deux dimensions, dominée par un tannin réellement présent .
Vin de bel équilibre et de bonne puissance, mériterait cependant une complexité plus étoffée.
BON
Dégustation Côte Monpezat 1999
Nez ouvert emmené par des notes fraîches, alcooleuses et distillant de discrètes notes de fruits frais et de bois vanillé.
Attaque de bonne amplitude très en souplesse –évolution en trois temps : volubile de bonne ampleur puis soutenue par une structure tannique de plus en plus résurgente mais sans excès, c’est ensuite au tour de l’alcool de venir conforter l’assise – joli fruit.
Bonne tenue, et bonne longueur – finale fraîche légère mâche et alcool présent, sans excès.
Joli vin bien composé dans l’équilibre, moins riche que le 2000, il est aussi plus facile.